OPINION. Depuis les années 1980, les accidents nucléaires sont envisagés comme une opportunité d’apprentissage et d’amélioration de la sûreté. Par Stéphanie Tillement, IMT Atlantique – Institut Mines-Télécom et Olivier Borraz, Sciences Po
Jusque dans les années 1970, les centrales nucléaires étaient jugées intrinsèquement sûres, par conception. L'accident était appréhendé comme hautement improbable, pour ne pas dire impossible par les concepteurs et exploitants ; cela en dépit d'incidents récurrents qui ne faisaient l'objet d'aucune publicité.
Dès lors, l'accident offre l'occasion de « tirer les leçons » afin de renforcer la sûreté nucléaire, dans une démarche d'amélioration continue. Du côté des experts institutionnels, industriels et académiques, l'analyse de l'accident modifie la vision de la place de l'homme dans ces systèmes et de l'erreur humaine : de problème moral, imputable aux « mauvais comportements » humains, il devient un problème systémique, imputable à une mauvaise conception du système.
La loi du 13 juin 2006 relative à la « transparence et à la sécurité en matière nucléaire » qui promulgue, entre autres, le statut de l'ASN comme Autorité administrative indépendante du gouvernement, en est une manifestation emblématique. Fukushima, point de rupture ? Dix ans après la catastrophe japonaise, on peut en effet faire le constat que celle-ci n'a pas initié de rupture profonde : ni dans la manière de concevoir, maîtriser et contrôler la sûreté des installations ; ni dans les plans et dispositifs conçus pour gérer une crise similaire en France .
Mais les travaux menés dans le cadre d'Agoras nous amènent à formuler l'hypothèse que les changements demeureront limités ; cela pour deux raisons. Ce travail a permis de normaliser l'accident, en le faisant entrer dans les organisations et cadres de pensée existants de la sûreté nucléaire. Mais cette fenêtre s'est rapidement refermée, et le système d'action a retrouvé sa stabilité. On observe l'inertie de ce système dans la production de nouveaux instruments de régulation, dont la conception et la mise à jour prennent plusieurs années.
Le processus de normalisation a ainsi abouti à faire entrer l'accident dans des catégories, institutions et dispositifs existants, afin de démontrer leur capacité à en prévenir l'occurrence et, si un accident survenait, à en limiter l'impact. Quant au mouvement d'ouverture vers les acteurs de la société civile, celui-ci a été amorcé bien avant l'accident Fukushima , et ce dernier a, au mieux, prolongé une tendance préexistante.
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